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Le QQQOC dans Libération Next.
article par Clément Ghys.
Le QQQOC art, plastique d'un coup d'éclat.
Article paru dans la REVUE DIAPO. Janvier 2011.
article par Florian Gaité.
La production actuelle compte peu de collectifs d’artistes, assez pour justifier la curiosité que suscite l’occurrence d’une collaboration réussie. Depuis sa création début 2010, le QQQOC a marqué le paysage artistique parisien en conjuguant les talents de ses quatre membres « connes-sœurs » et ceux des artistes qui se sont ponctuellement greffés à leurs projets. Mélanie Martinez-Llense (comédienne), Nicole Miquel (photographe), Maud Thomazeau (styliste) et Clarisse Tranchard (plasticienne) ne fondent pourtant leur affinité ni sur une recherche plastique commune, ni sur une convergence d’opinion. Elles créent plutôt dans le débat - l’effusion des références individuelles - et encouragent la profusion culturelle et sensitive qui garantit le renouvellement constant de leurs sujets comme de leurs publics. La diversité des pratiques et des lieux culturels expérimentés conditionne la conception d’un monde de l’art pluralisé et différentiel, capable de différer sans cesse de lui-même. Cette mobilité à soi des formes et des identités artistiques participe au délitement de la figure de l’artiste solitaire et monolithique au profit du statut, plus humble et plus charnu, d’une bande de trouble-faits qui mobilise les énergies pour innerver les lieux de rendez-vous officiels.(…) Il est à l’évidence question de travailler les relations humaines, de créer des espaces de sociabilité et d’action participative. Mais il n’est pas du tout certain, comme le pense Nicolas Bourriaud [3], que l’époque soit à l’heure de la négociation et du consensus. Travailler la carte du social ne signifie pas en lubrifier les artères. Le lien humain n’a rien d’évident, il s’agit de le poser dans sa frontalité, avec tout ce que cela comporte de portée critique. Dans la tradition du happening de Kaprow, elles responsabilisent le public et font de l’interactivité l’occasion d’un choix, décisif pour la performance. À Poil est un de ces lieux d’implication. Le QQQOC installe l'espace d'un rituel collectif, à même une peau de manteaux de fourrure cousus les uns aux autres. Dans ce tissu désagencé de chair morte, les participants s'entrelacent et troquent leur intimité pour l'inconfort de rencontrer ses partenaires de près. La structure liante se met ensuite en marche et dissout dans son mouvement une part d'identité, tandis que l'autre résiste. Otage des autres, chacun est aussi réponse à autrui. Le tissu du corps collectif avance, butte, diffère et se reconstruit, engagé dans une métamorphose constante. Les performeuses sortent ensuite de la structure à poils, et rejoignent un banquet de fruits et d'alcool, indifférentes au groupe. Saturday Night Fever qui résonne (à peine, l’ambiance est presque deceptive) et, en fond, la vidéo d’un troupeau de vaches au galop, montée en boucle, sont les seuls indices d'un choix annoncé. Va-t-on déchirer la chair, initier un mouvement collectif ou attendre vainement une instruction? En travaillant la posture du public acteur, A Poil installe le moment d’un choix dans lequel se figent les résistances et les fluidités dans mon rapport à autrui. Elles ne fournissent aucun outil de communication, ne proposent pas une expérimentation sociale mais cherchent à dépasser le malaise de la coexistence des individualités.
La question relationnelle de l’œuvre est avant tout histoire de l’entrave, de l’intimité blessée ou troublée, de la frontalité. Comme l’épiphanie du visage selon Lévinas, l’irruption du corps de l’autre me constitue en sujet éthique et me rend responsable face à lui. C’est précisément ce qui est en jeu dans Exhibition. Le QQQOC, travesti en quatre pervers à l’imper, noyés dans la foule du Carrousel du Louvre, propose de découvrir aux passants des pièces photographiques d’artistes invités, agrafées sous les manteaux. Le public, quand il se rend complice, doit alors assumer publiquement sa position de voyeur, quand le reste de la foule ne peut savoir ce qui est exhibé.(…)Les espaces qu’elles ouvrent, qui échappent à la légalité du monde social ordinaire, promeuvent une pratique de la fête, proche de l’art supérieur que Nietzsche appelait de ses vœux [6]. Non pas le rassemblement empreint de convivialité et de courtoisie que Bourriaud voudrait nous faire passer pour une négociation apaisée, mais la réunion sauvage qui convoque la pulsion et désinhibe les instincts. Si A poil renoue avec l’atavisme et le reste du sentiment de meute, si le défilé aux passages piétons devant le jardin des Tuileries était exalté, fou, débordant - la mariée se roulant sur le capot des voitures médusées -, la série de performances Wild initie plus fortement encore l’expression du vigor animal comme langage artistique. Associée à d’autres performeuses, comme la réalisatrice porn queer Catherine Corringer, elles s’enferment dans un château, en bande amazone, et rejouent entre elles des scènes dionysiaques de folies collectives. Elles filment ainsi des performances troublantes, mystiques et libératrices. Ces actions exaltent le corps normalement caché et les forces transgressives de sa mise en scène, s’inspirant des viennois - la culpabilité et le gout de la brutalité en moins. Les prêtresses masquées finissent au bout de trois jours dans une quasi transe, expérimentant les limites de ce que la conscience peut accepter en termes de dépossession de soi.
La question féministe intervient enfin comme un nouveau challenge. Le collectif n’a pas la volonté de contestation des années 70 et ne s’engage pas dans un combat idéologique au sens fort. Bien que concerné par le mouvement de pensée, et renseigné sur ses évolutions, le QQQOC (prononcer finalement « coq » ou bien « cock ») n’est pas à proprement parler un groupe activiste, sur le mode des Guerilla girls ou de La Barbe. La gouine rouge, la fem punk sophistiquée et la cérébrale postféministe sont autant de figures familières qui leur inspirent une performance à venir, La Banquette de Platonne. Entourées d’intellectuelles, elles proposent une réécriture féministe et orientée du célèbre texte de Platon, qui pose les jalons d’une façon plus universaliste de concevoir le combat des femmes, et gage qu’il y a encore fort à découvrir du côté de ces fées électriques.
Florian GAITÉ.